Soeur Adélaïde Langmann
La Vénérable Sœur ADÉLAÏDE LANGMANN 
                  Professe du monastère d'Engeltbal en  Bavière 
                  (1312-1375)
Le couvent des Dominicaines d'Engelthal est né d'un ermitage de femmes en 1244, dans le diocèse d'Eichstätt. Ce monastère se fit un nom comme centre de la mystique féminine. Christine Ebner et Adelheid Langmann sont les plus connues.
On possède peu de détails sur la  famille d'Adélaïde Langmann. Née à Nuremberg, croit-on, dans les premières  années du XIVe siècle, la servante de Dieu entra vers l'âge de quinze ans au  monastère dominicain d'Engelthal, qu'illustraient alors des religieuses  comblées de faveurs célestes, comme cette Christine Ebnerin, qui nous a laissé  la relation de ses extases. A son tour, Adélaïde se vit l'objet de grâces  extraordinaires. Sur l'ordre de ses supérieurs, elle décrivit ses visions, dans  des pages qui nous montrent l'intimité ravissante de la vierge avec le Christ,  son époux. Mais, tandis que son âme surabondait de consolations, un douloureux  martyre affligeait son corps. Accablée par les souffrances et les austérités,  elle mourut à Engelthal, le 22 novembre 1375.
                  Le récit d'Adélaïde a fourni les éléments de la biographie que nous lui  consacrons. Chaque ligne proclame la souveraine bonté de Dieu et son besoin  incompréhensible d'aimer et d'être aimé. Sans doute, Adélaïde répond à l'appel  divin dès l'âge le plus tendre; sans doute, elle implore et obtient pour  elle-même et pour autrui des grâces innombrables; mais, à lire certains  passages du naïf manuscrit, il semble que le Christ soit encore plus avide de  donner que sa servante n'est désireuse de recevoir. On dirait que le Seigneur  la supplie tout bas de lui demander davantage. Alors, sous la révélation  d'amour qui lui est faite, la vierge défaille. Son corps, son âme se fondent en  un seul désir : être avec Jésus-Christ; et cela, non pas demain, dans la patrie  céleste, mais aujourd'hui même, et sur cette terre. 
                  « Seigneur, s'écrie-t-elle dans son ardent langage, qu'ai-je à faire de  vos messagers? Je ne me soucie ni des hommes, ni des anges. C'est vous seul que  je veux, Seigneur. Ah ! venez, venez! » 
                  Et le Seigneur obéit à sa servante; il vient, sous les formes adorables  que lui suggère sa tendresse. Tantôt, c'est le Père, qui presse sur son sein la  tête de sa fille bien-aimée ; tantôt c'est le Verbe, Epoux divin, qui offre aux  lèvres de l'épouse la rosée sanglante de ses plaies ; tantôt le Saint-Esprit,  remplissant de ses dons multiples ce vase d'or aux larges dimensions; ou bien,  Jésus-Enfant s'échappe du tabernacle pour porter à la chaste vierge une caresse  de choix.
                  Mais laissons Adélaïde nous révéler elle-même « le secret caché en Dieu  dès l'origine des siècles ». 
II. — Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit! commence-t-elle,  je parlerai d'une religieuse que le Seigneur a comblée, dès sa jeunesse, de  dons admirables. Enfant, elle vivait en toute candeur et simplicité, avide de  choses spirituelles et divines. Toutefois, sans s'abandonner à la dissipation,  elle se montrait joyeuse avec ses compagnes. Au sermon, où la conduisait sa  mère, elle recueillait pieusement les paroles du prédicateur, pour les méditer  dans la solitude. La sainte Passion de Jésus-Christ fut dès lors le sujet  préféré de sa contemplation ; elle y consacrait tous ses loisirs. Aussi les  personnes chargées de veiller sur l'enfant prédirent-elles à sa mère  qu'Adélaïde entrerait au couvent. 
                  A 13 ans, on la promit à un jeune homme, qui aussitôt fut atteint d'une  maladie de langueur. Le jour des noces arrive ; mais le fiancé a dû s'aliter ;la  maladie s'aggrave, il dépérit de plus en plus, et l'année suivante, il meurt.  On cherche à l'adolescente un autre époux. Alors le Seigneur intervient, et  révèle à une âme pieuse que tous les fiancés d'Adélaïde mourront : « Car je me  la suis réservée », déclare le Tout-Puissant. 
                  Jusqu'ici Adélaïde n'opposait point de résistance au désir des siens;  maintenant elle hésite à les satisfaire. 
                  « Demandez à Dieu quelle est sa volonté, » dit-elle à quelques  saintesrâmes. Dieu répond : « II faut qu'elle m'appartienne, et pour  m'appartenir, elle doit entrer dans le cloître. — Que lui donnerez-vous en  échange? » questionne naïvement un des interlocuteurs du Très-Haut. — « Le  royaume du ciel, » déclare le Seigneur. 
                  A ce commandement, la vierge se trouble. Déjà elle mène dans le monde  une vie singulièrement mortifiée : sept fois le jour, elle prend de rudes  disciplines; chaque nuit, elle lutte contre le démon. Faut-il donc qu'elle  renonce à sa liberté, qu'elle dise à ses amis un éternel adieu?... Le cœur  aimant de la jeune fille frémit à l'idée de la séparation. Mais la volonté du  Seigneur est inexorable. Sa servante résiste: il la contraindra par un prodige. 
                  Un jour, après avoir communié, elle ne peut consommer les saintes  espèces. — « Seigneur, dit-elle, vous ai-je donc offensé? — Non, répond le  Christ; mais je n'entrerai en toi, que si tu me promets d'aller au monastère  d'Engelthal. » — « Seigneur, réplique-t-elle vivement, je n'en ferai rien ; la  maladie m'accable, je ne puis vivre dans les privations. — Alors tu ne me  recevras point», Adélaïde parle de recourir à son curé. — « Nul prêtre au monde  ne peut te venir en aide, » assure le Maître. Soudain un subterfuge se présente  à l'esprit de la jeune fille. Elle promettra, puis se fera relever d'un vœu  qu'elle considère comme lui étant arraché par la violence. — « Pas ainsi »,  déclare Celui qui sonde les reins et les cœurs; promets comme si tu allais  mourir. » Adélaïde vaincue murmure tout bas : « Comme si j'allais mourir,  Seigneur, je promets ». Aussitôt la sainte hostie descend dans sa poitrine.  Mais elle souffre cruellement du sacrifice qui lui a été extorqué. — « Je vous  ai donné ma volonté, gémit-elle, je vous ai immolé mon corps dans sa fleur ; ferai-je  mon salut en vivant dans le monastère? » Hélas! quand le secours divin nous  élève au-dessus de nous-même dans une action héroïque, par une singulière  revanche de la nature, nous nous surprenons à douter de la récompense. — « En  aucun temps, en aucun lieu, je ne t'abandonnerai, répond le Christ ; quand tu  seras dans la peine, je viendrai moi-même à ton aide et je te comblerai de mes  tendresses, comme mon épouse bien-aimée. » A l'heure même, Adélaïde se sentit  détachée des choses terrestres ; la joie d'entrer en religion inonda son âme.  Toutefois, elle souffrait encore à la pensée de quitter ses amis. Dans son  ineffable sollicitude, Dieu lui avait réservé le mérite d'un sacrifice que la  trahison des siens allait lui imposer. A peine l'a-t-elle offert, que ses plus  intimes, mécontents de ne pouvoir la détourner du cloître, l'abandonnent et la  dépouillent de ses biens.
III. — Dans le monastère, quelle sera la vie d'Adélaïde ? 
                  Dieu, qui la destine à une mission rédemptrice, lui retire d'abord  toute joie et toute lumière ; il permet au prince des ténèbres de la tourmenter  par d'horribles visions. Ce martyre dure une année entière. Jésus, alors, se  manifeste à sa servante, et, après lui avoir remis toutes ses fautes — une  victime de propitiation doit être parfaitement pure — il lui accorde la  délivrance d'un grand nombre d'âmes du Purgatoire, la conversion d'une foule de  pécheurs, la persévérance de beaucoup de justes. — « Tu verdiras comme les  arbres des champs, lui dit-il ; tu porteras des fruits comme les branches  fécondes. Par toi, grand nombre d'hommes deviendront meilleurs. » Adélaïde dut  entendre, en ce jour, la parole substantielle qui crée ce qu'elle exprime — dixit et facta sunt; — elle accepta  joyeusement la souffrance, en faveur des âmes pécheresses et souffrantes. Elle  le savait. L'effort sur le cœur de Dieu est plus efficace que l'effort sur la  volonté des hommes, et la forme de charité la plus énergique est celle qui,  dans la prière et l'immolation, porte à Dieu les âmes que l'on veut sauver. 
                  L'apostolat d'Adélaïde fut celui d'une contemplative. A peine la  voyons-nous trois ou quatre fois en rapport direct avec les hommes. Ce sont des  malheureux qu'elle guérit d'une dangereuse tentation de suicide, ou bien un  certain Eberhard qu'elle arrache à sa vie coupable et fait entrer à l'abbaye  cistercienne de Keisheim, où, pendant dix-sept ans, il est inondé de délices  spirituelles, qui ne le quittent pas d'un instant. Le récit de la vierge  dominicaine ne mentionne pas d'autres noms. Le Dieu qui l'aime est un Dieu  jaloux ; et si parfois elle cherche ailleurs qu'en lui des consolations, il l'en  reprend sévère ment. « Ne va pas ici ou là chercher mes grâces : moi-même te  les donnerai. » Cependant il ne la soustrait point au contrôle spirituel de ses  prêtres. Un savant Dominicain étant venu à Engelthal, le Seigneur ordonne à sa  servante de lui révéler les secrets de sa vie intérieure. Elle obéit, et le  Frère Prêcheur déclare, après sérieuse réflexion, qu'elle marche dans une voie  sûre. Il fortifie son courage et lui enjoint d'écrire ses révélations. 
                  Comme nous l'avons vu, les épreuves ne manquèrent pas à Adélaïde  Langmann. D'une santé délicate, même avant de venir au monastère, elle subit  pendant toute sa vie religieuse les atteintes d'un mal étrange qui tour à tour  la terrassait et la quittait brusquement. 
                  Tantôt elle se sentait accablée d'une faiblesse telle qu'elle ne  pouvait ni parler ni remuer; tantôt ses forces se trouvaient décuplées au  point, dit-elle, de pouvoir déraciner un arbre vigoureux. Le matin de sa  profession, reprise de son mal : « Pourrai-je jamais observer la règle? » se  demandait-elle. — « Ce que tu ne peux faire, répondit l'Epoux divin, c'est  moi-même qui le ferai. Je n'abandonnerai ni ton corps ni ton âme dans leurs  angoisses. » L'épouse accepta le contrat, contrat admirable entre la fidélité  de Celui qui aime et la confiance de celle qui se sent aimée; contrat où l'âme  d'Adélaïde, méprisant tout autre point d'appui, ne garda que celui de la foi.  Aidée d'en haut, elle put donc suivre les observances de la vie commune et  vaquer aux charges qui lui furent attribuées; mais combien de fois le Seigneur  ne mit-il pas à l'épreuve la confiance de sa servante? Pendant cinq années,  elle demeura étendue sur sa couche, en proie à une tentation épouvantable qui  lui faisait désirer la mort. Elle déclare que, durant l'espace de vingt ans, elle  ne fut pas un jour sans souffrir. A ces épreuves se joignaient les attaques des  démons. Ils la menaçaient, l'accablaient de suggestions odieuses, en sorte  qu'épuisée par la lutte, elle pouvait à peine lever la main pour faire le signe  de la Croix. Ils réussirent même à jeter dans l'âme de ses compagnes  l'antipathie contre elle. 
                  Les grâces dont elle était favorisée la rendirent un objet d'embarras,  de suspicion même pour ses Sœurs; et nous voyons la pauvre Adélaïde, confuse  des préférences célestes, supplier Dieu de les dérober à tous les regards. 
                  Ce martyre ne suffisait pas encore au désir d'immolation de la  vénérable religieuse. Elle inventa des pénitences effroyables, se flagella avec  des chardons, des branches de genévrier, des peignes à carder le chanvre, des  peaux de hérisson. Déjà, dans le monde, elle couchait sur des planches, et  portait une chaîne de fer autour des reins.
IV. — Que pouvait refuser le Sauveur à celle qui lui donnait tant? Il  se montra pour elle d'une munificence inouïe. Chaque fois qu'il lui  apparaissait, il lui promettait des bénédictions sans nombre pour elle-même,  pour ceux qu'elle aimait, et même pour des âmes inconnues au salut desquelles  elle s'intéressait. Adélaïde, il est vrai, ne reçoit point du ciel un  enseignement doctrinal, comme son illustre sœur, Catherine de Sienne; mais la  grâce la guide dans la voie spéciale que Dieu lui a tracée. Sa vie s'écoule,  obscure et humble, entre la joie de posséder le Bien-Aimé et la tristesse de le  perdre. C'est la présence de l'Epoux qu'il faut à l'épouse : s'il s'éloigne un  instant, elle pleure et gémit; s'il revient, le désir d'Adélaïde, suivant la  loi de l'amour, croît avec le don qui lui est fait. 
                  Chaque fois qu'elle s'approche de la Table sainte, elle supplie le  divin Maître de l'absorber tout entière en lui. « Unissez-vous à moi,  soupire-t-elle, afin qu'entre nous deux soit conclue une éternelle alliance. »  Et Notre Seigneur répète, au profit de sa servante, le magnifique serment  d'amour fait aux apôtres pour toute la race humaine : « Comme je ne puis me  séparer de mon Père, ainsi jamais je ne me séparerai de vous. » En gage de  cette union, le Christ la pressa si fort contre son cœur qu'elle adhérait à lui  « comme la cire au cachet dont elle reçoit l'empreinte ».
                  De quelle nature étaient les extases d'Adélaïde? Elle-même nous le  déclare : .ses visions furent intellectuelles, non imaginaires; à peine  vit-elle des yeux du corps quelques-unes des choses qu'elle raconte. 
                  L'esprit de prophétie lui fut aussi accordé. Elle savait quelles religieuses  du monastère allaient mourir ; et, après leur trépas, Dieu lui manifestait le  lieu de leur demeure. Elle reçut encore l'esprit de conseil, pour éclairer  certaines âmes, comme nous l'avons dit. Jésus-Christ ne se contentait pas de  lui apparaître lui-même : parfois il lui envoyait ses saints. A maintes  reprises, l'extatique contempla saint Dominique, Père de son Ordre ; saint  Thomas d'Aquin, son illustre frère ; les apôtres, des martyrs, des confesseurs,  des vierges.
V. — Bien que la vie d'Adélaïde Langmann dépasse, dans l'ordre  spirituel, celle du commun des chrétiens, nous pouvons en tirer, cependant,  maint enseignement. 
                  « La plus grande joie qu'on puisse me faire, dit un jour le Sauveur  Jésus à sa servante, c'est de prier pour les pécheurs. » La sainte religieuse  nous donne un exemple admirable de cet apostolat, non seulement par les  mortifications qu'elle s'impose, mais encore et surtout par sa patience au  milieu des maux que Dieu lui envoie. Si elle aima les pécheurs, elle aima aussi  les âmes du Purgatoire. Il lui fut donné de ressentir une part de leurs  souffrances, afin que son désir de les soulager augmentât davantage; et,  depuis, elle implora sans cesse leur délivrance. 
                  Elle eut le culte de l'obéissance, cette vertu du cloître par excellence  : la règle la trouva toujours joyeusement soumise. La cloche venait-elle à  sonner pendant ses extases, elle quittait Notre Seigneur pour rejoindre ses  compagnes ; et si, fidèle aux injonctions d'en haut, elle sortait de  l'infirmerie pour reprendre sa charge, c'était après avoir demandé la  permission de la Prieure. Elle savait que les progrès spirituels se mesurent  moins aux faveurs extraordinaires qu'à l'obéissance humble et soumise. 
                  Dieu l'éclairé sur les vertus dont son âme doit être ornée. Il enseigne  à cette vierge prudente qu'au sein des consolations célestes, il faut encore  veiller et craindre l'ennemi. « Garde-toi, ma fille, des discours inutiles ;  toutes tes paroles doivent être marquées au coin de la vérité. » 
                  La pureté sans laquelle nul ne peut plaire au Dieu trois fois saint; le  Très-Haut nous apprend que nous devons l'attendre de lui seul. « Tu as besoin,  dit-il à sa servante, que je te purifie entièrement: tes yeux, afin qu'ils ne  regardent plus que moi ; tes oreilles, pour qu'elles n'écoutent plus que ma  doctrine ; ton cœur, en sorte qu'il m'appartienne tout entier; ta langue, pour  qu'elle ne prononce que des paroles sincères, et ta bouche, pour qu'elle me  loue en tout temps. Il faut que tes mains fassent mes œuvres, que tes pieds marchent  dans mes voies, et que la force de tes membres se consume joyeusement à mon  service. » 
                  Une autre fois, le divin Maître met Adélaïde en garde contre l'esprit  de discorde, qui s'insinue trop souvent au milieu des assemblées chrétiennes. «  Sache, lui dit-il, que cet esprit enlève aux personnes religieuses une grande  partie de leurs mérites. Après m'avoir honoré par de longues prières, souvent  elles s'abandonnent à l'impatience et aux vaines querelles. La récompense de  leurs bonnes œuvres en sera diminuée de beaucoup. » 
                  Cet autre conseil s'adresse plus spécialement aux personnes consacrées  à Dieu. 
                  « Sache, ma fille, que toute sortie hors du cloître, quand elle n'est  pas sérieusement motivée, fait tort aux religieux. De retour à leur couvent,  ils sont poursuivis par les pensées du monde, par tout ce qu'ils ont vu et  entendu. Ils ne tardent pas à sortir de nouveau, pour rechercher des amitiés  frivoles... » 
                  Terminons par les touchantes paroles que le Sauveur adressa, un jour, à  la Bienheureuse Sœur, et dont nous solliciterons de son intervention céleste la  réalisation pour nous-mêmes : « Aucun de ceux que tu me recommandes ne se  perdra, et toujours dans l'âme de tes amis je ferai ma demeure.